Intérêt des centres pluridisciplinaires d’évaluation
et de traitement de la douleur
L’organisation des traitements symptomatiques d’une douleur chronique doit se concevoir comme un programme structuré ; celui-ci respecte la combinaison des procédés thérapeutiques découlant de l’analyse de la symptomatologie, mais également une progression logique des moyens. De nombreux cas de figures sont envisageables. Les Tableaux 6,7,8 suggèrent un arbre décisionnel pour certains types de douleurs chroniques : les douleurs cancéreuses, les douleurs neuropathiques et les
lombalgies chroniques.
Quel que soit le cadre de l’évaluation d’une douleur chronique (par une équipe pluridisciplinaire, au sein d’une unité de traitement de la douleur, ou dans un autre cadre), le principe d’une évaluation conjointe systématique des facteurs somatiques et psychologiques potentiels est désormais une notion classique. Le couple somaticien/psychiatre est le noyau de base de ces structures. Cette évaluation peut faire appel à diverses compétences, et les différents avis doivent alors faire l’objet
d’une synthèse qui est transmise au malade : il faut éviter l’écartèlement du malade entre plusieurs spécialistes, favoriser la communication des divers intervenants entre eux. Le suivi sera coordonné par l’un des médecins qui fera régulièrement le point sur les résultats des différentes modalités utilisées, le plus souvent associées, au sein d’un programme thérapeutique structuré.
La mise en oeuvre de ces impératifs est facilitée au sein d’une structure pluridisciplinaire de traitement de la douleur. Les malades qui y sont dirigés sont ceux qui, malgré un diagnostic médical somatique apparemment correct et un traitement classique, continuent de souffrir. Les conditions dans lesquelles le patient est dirigé vers une consultation de la douleur traduisent parfois la difficulté du médecin à supporter seul la prise en charge de tels patients.
La pluridisciplinarité ne constitue pas simplement la seule juxtaposition des disciplines.
Le fonctionnement en équipe est essentiel. La motivation de l’équipe soignante, médicale et paramédicale, est un aspect essentiel du bon fonctionnement de l’unité. Cette motivation participe à limiter les inévitables échecs thérapeutiques. Le cadre de cette consultation paraît par ailleurs lever plus facilement la réticence des malades à consulter un psychiatre et à accepter une prise en charge psychologique lorsqu’elle est
nécessaire.
L’équipe doit réunir les disciplines aptes à analyser la symptomatologie douloureuse examinée : interniste ou généraliste, neurologue, neurochirurgien, anesthésiste, rhumatologue, médecin de médecine physique, psychologue et psychiatre, cancérologue, pédiatre… Bien entendu, dans la pratique, il estinutile de réunir de multiples avis redondants.
Tableau 6.
Stratégie d’évaluation et de traitement des douleurs cancéreuses.
Cause ?
Causes spécifiques ?
Mécanisme de la douleur ?
Souffrance psychologique ?
| Cancer
Métastases osseuses Envahissement nerveux
Cancer du pancréas Excès de nociception
Neuropathique
Musculaire | Effet antalgique des traitements antitumoraux : chirurgie, radiothérapie,chimiothérapie, hormonothérapie, immunothérapie…
Chirurgie d’exérèse et de consolidation AINS–Biphosphonates Corticoïdes Bloc coeliaque
Paracétamol AINS Antalgiques de palier II Morphine orale et morphiniques puissants Morphine SC ou i.v. Morphine centrale Blocs neurolytiques Neurochirurgie de section Antidépresseurs (tricycliques) Anticonvulsivants Stimulation électrique transcutanée ou centrale
Kinésithérapie Relaxation
Relation soignant/soigné Accompagnement Antidépresseurs Anxiolytiques |
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; SC : sous-cutané ; i.v. : intraveineux
Tableau 7.
Stratégie d’évaluation et de traitement des douleurs neuropathiques.
Cause ? | Douleur séquellaire ? Symptôme ? |
|
Causes spécifiques ? | Névrome ? | Enfouissement chirurgical ? |
Mécanisme de la douleur ? | Composante continue Composante fulgurante
Composante sympathique | Antidépresseurs tricycliques Neurostimulation (transcutanée, cordonale, thalamique) Anticonvulsivants
Blocs sympathique |
Facteurs psychologiques et comportementaux ? | Interprétation de la douleur
Anxiété – dépression
Capacités de contrôle Réactivité au stress Perte des activités physiques loisirs professionnelles | Reformulation Éducation
Antidépresseurs Anxiolytiques Psychothérapie
Relaxation Gestion du stress Reprise progressive Rééducation fonctionnelle Reclassement ou adaptation professionnels |
Tableau 8.
Stratégie d’évaluation et de traitement des lombalgies chroniques.
Douleur | Traitement médicamenteux
Traitement non médicamenteux Apprendre à vivre avec sa douleur | Antalgiques paliers I ou II Myorelaxants Infiltrations articulaires
Rôle actif du malade
Limiter les méthodes passives (massages, balnéothérapie, stimulation électrique) Éducation Reformulation des croyances Thérapies cognitives et comportementales |
Incapacité ? | Restauration fonctionnelle précoce | Reconditionnement physique (sport, loisirs…) Exercice individuel Kinésithérapie École du dos |
Retentissement psychologique, social, familial ? | Prise en charge d’une dépression, d’une anxiété | Psychothérapie Thérapies cognitives et comportementales Antidépresseurs Anxiolytiques |
Retentissement professionnel ? | Réinsertion professionnelle | Contact précoce avec le médecin du travail Réinsertion, reclassement |
Pour l’équipe paramédicale, signalons l’aide profitable que peuvent apporter une infirmière, un kinésithérapeute et une assistante sociale.
Cette dernière peut aider le patient à mieux défendre ses droits et limiter les conséquences des fréquents litiges avec la Sécurité sociale.
Il est sans doute préférable que la constitution définitive de l’équipe soit l’aboutissement de collaborations informelles préalables fructueuses. L’équipe doit arriver à fonctionner sans lutte pour la prévalence d’une conception ou d’une technique.
Au contact du groupe, chaque membre de l’équipe est amené à élargir ses intérêts aux multiples facettes de la douleur chronique.
Dans ce climat, l’indication et la place respectives de chaque méthode peuvent sans doute être mieux appréciées.
Le développement de structures de traitement de la douleur constitue un progrès incontestable pour faciliter la prise en charge de la douleur chronique. De nombreux efforts restent encore à réaliser pour renforcer ces structures dans leur organisation, assurer leur pérennité et permettre que les malades y accèdent à un stade adéquat : c’est-à-dire avant l’installation du syndrome douloureux dans la chronicité.
Points forts
• Le modèle pluridimensionnel de la douleur fait considérer des composantes sensoridiscriminative, affective-émotionnelle,
cognitive, comportementale.
• Facteur majeur d’incapacité de travail, les douleurs chroniques ont un important coût social et économique.
• Les principaux mécanismes physiopathologiques de la douleur sont l’excès de stimulations nociceptives, les douleurs
neuropathiques, les douleurs psychogènes et les douleurs idiopathiques. Ils peuvent être associés.
• Même si la durée d’évolution intervient dans la définition de la douleur chronique (plus de 3 à 6 mois), celle-ci n’est cependant pas
la simple pérennisation d’une douleur aiguë, et prend en compte le retentissement sur le comportement et le bien-être du patient.
• L’entretien avec le malade douloureux chronique doit comporter, outre l’évaluation organique et l’inventaire des traitements, une
évaluation des champs cognitifs, comportementaux et affectif-émotionnel, mais aussi du retentissement socioéconomique.
• La conduite du traitement d’une douleur cancéreuse repose essentiellement sur le traitement médicamenteux, respectant les trois
paliers proposés par l’OMS, et fait le plus souvent appel aux morphiniques, pour lesquels plusieurs voies d’administration sont
possibles.
• Le traitement d’une douleur chronique non cancéreuse repose sur la conjonction d’un traitement médicamenteux, de techniques
de rééducation et de reconditionnement physique, et d’une approche cognitive et comportementale.
• Les techniques anesthésiques ou neurochirurgicales peuvent constituer des alternatives thérapeutiques dans certaines indications.
• Les centres pluridisciplinaires d’évaluation et de traitement de la douleur sont des structures de recours permettant de faciliter la
prise en charge de la douleur chronique.
Autoévaluation
Questions
I
A - L’excès de stimulations nociceptives sous-tend la majorité des douleurs aiguës
B - Seuls des mécanismes périphériques sont impliqués dans les douleurs neuropathiques
C - Les douleurs des membres fantômes sont des douleurs par excès de stimulations nociceptives
D -Dans les douleurs de type neuropathique, les antalgiques de palier I ou les anti-inflammatoires non stéroïdiens doivent être prescrits de
première intention en raison de leur efficacité dans ce type de douleur
E - Les traitements médicamenteux d’action centrale comme les antidépresseurs tricycliques ou les antiépileptiques sont prescrits de
première intention dans les douleurs neuropathiques sévères
II
A - La section nerveuse chirurgicale permet de traiter efficacement les douleurs neuropathiques
B - La douleur chronique peut être définie comme une douleur évoluant depuis plus de 3 à 6 mois et/ou susceptible d’affecter de façon
péjorative le comportement ou le bien-être du patient
C - Dans les pathologies douloureuses persistantes, non cancéreuses, un syndrome dépressif est retrouvé dans 8 à 10 % des cas
D -L’évaluation du soulagement de la douleur doit être effectuée au moment où l’on attend l’effet analgésique du traitement instauré
E - Les antalgiques de niveau II, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), associent analgésiques non morphiniques et opioïdes
mineurs
III
A - Selon l’autorisation de mise sur le marché (AMM), les patchs de fentanyl transdermiques sont indiqués dans les douleurs chroniques
cancéreuses intenses ou rebelles aux autres antalgiques en cas de douleurs stables
B - L’allodynie définit une perception douloureuse anormalement intense à un stimulus douloureux
C - La nécessité d’augmenter des doses de morphine doit évoquer en premier lieu un mécanisme de tolérance ou une hyperesthésie à la
morphine
D -Dans les douleurs neuropathiques, les antidépresseurs ne sont actifs que sur la composante paroxystique
E - L’intérêt des benzodiazépines, dans le traitement de la douleur, a été clairement démontré
IV
A - La neurostimulation électrique transcutanée n’est indiquée que dans les douleurs neuropathiques
B - Le bloc locorégional à la guanéthidine est un bloc postganglionnaire
C - La durée d’action des blocs neurolytiques à l’alcool éthylique ou au phénol est en moyenne de 6 mois à 1 an
D -Les techniques neurochirurgicales de stimulation sont indiquées dans les douleurs neuropathiques rebelles au traitement médical
E - La stimulation cordonale postérieure est indiquée dans les douleurs d’origine neuropathique
Réponses
I
A - Vrai
B - Faux
C - Faux : il s’agit de douleurs neuropathiques
D -Faux : leur prescription est illogique et inutile
E - Vrai
II
A - Faux : les techniques chirurgicales de section nerveuse sont susceptibles de majorer le tableau de lésion nerveuse avec, parfois,
l’apparition de nouvelles douleurs neuropathiques
B - Vrai
C - Faux : la dépression est fréquente (30 à 50 %)
D -Vrai : l’évaluation sera horaire ou pluriquotidienne en cas de traitement par des analgésiques, hebdomadaire en cas de traitement par
des antidépresseurs imipraminiques
E - Vrai
III
A - Vrai
B - Faux : l’allodynie définit une perception douloureuse à un stimulus habituellement non douloureux
C - Faux : il faut évoquer de principe une évolution de la maladie
D -Faux : les antidépresseurs agissent à la fois sur la composante continue et sur la composante paroxystique
E - Faux
IV
A - Faux : la neurostimulation électrique transcutanée s’est révélée efficace dans certaines douleurs d’origine non neurologique comme les
douleurs chroniques post-traumatologiques ou rhumatologiques
B - Vrai
C - Faux : les effets durent en moyenne 2 à 3 mois
D -Vrai
E - Vrai