Traitement du tétanos
La stratégie de traitement du tétanos repose d’abord sur la neutralisation de la tétanospasmine qui n’aurait pas déjà atteint le système nerveux central et sur l’éradication des éventuels Clostridium tetani présents au niveau d’une plaie, susceptibles de relarguer davantage de toxines. Ensuite le traitement s’attache à minimiser les effets de la tétanospasmine en attendant l’apparition de nouvelles terminaisons axonales [14].
Neutralisation de la tétanospasmine circulante
Le passage plasmatique de la tétanospasmine a lieu pendant la phase tout initiale de la période d’incubation, alors même que le diagnostic de tétanos ne peut être fait.
Aussi, lorsque les symptômes suffisants pour établir le diagnostic sont constatés, la tétanospasmine se trouve déjà fixée au niveau du système nerveux central et donc inaccessible à toute sérothérapie.
L’antitoxine administrée par voie parentérale ne sert alors qu’à
neutraliser une hypothétique toxine résiduelle circulante [4].
C’est la raison pour laquelle certains auteurs ont pu préconiser d’administrer l’antitoxine directement par voie intrathécale [15,16].
Cependant, une méta-analyse [17] et une étude contrôlée [18] ont limité l’utilisation de cette technique qui n’est pas préconisée actuellement [4], même si des résultats plus récents pourraient relancer le débat [19].
Un autre problème concerne l’origine de l’antitoxine à administrer. En effet, cette antitoxine peut être soit d’origine équine, et expose alors aux risques de maladie sérique, soitd’origine humaine, qui est la seule préconisée à l’heure actuelle en France. Cependant, l’antitoxine hétérologue, d’origine équine, continue d’être utilisée dans de nombreux pays pour des raisons économiques évidentes.
Concernant l’administration parentérale conventionnelle, aucune formulation d’antitoxine tétanique humaine disponible en France ne permet l’administration par voie intraveineuse, aussi l’injection d’antitoxine s’effectue toujours par voie intramusculaire.
Pour ce qui est de la posologie des immunoglobulines humaines antitétaniques à administrer, alors que des doses élevées de l’ordre de 3 000 à 6 000 UI étaient préconisées, il semblerait qu’une posologie de 500 UI soit suffisante [4, 20]
Éradication de la source de l’infection
L’éradication d’éventuels Clostridium tetani restant au niveau d’une plaie doit être systématiquement envisagée afin d’éviter tout relargage secondaire de tétanospasmine.
Cette éradication repose sur une intervention chirurgicale de mise à plat,
débridement, nettoyage abondant et désinfection à l’eau oxygénée plus ou moins associée à une excision de la plaie et des tissus nécrosés, couplée à l’ablation d’éventuels corps étrangers.
L’exploration et le traitement chirurgical nécessitent, si le patient est examiné pendant la phase de généralisation des contractures et spasmes, d’être conduits sous anesthésie générale afin d’éviter la survenue de paroxysmes. Par ailleurs, le traitement chirurgical sera réalisé préférentiellement après l’administration d’antitoxine, de telle manière qu’en cas de libération de toxine durant l’exploration chirurgicale, celle-ci puisse être Bneutralisée immédiatement.D’autre part, le traitement de la source de l’infection repose également sur une antibiothérapie curative par voie générale ayant pour objectif de détruire les Clostridium tetani résiduels. Si l’antibiothérapie de choix a longtemps été la pénicilline G à la dose de 4 à 10 millions d’unités par jour, le métronidazole à la posologie de 500 mg trois fois par jour pendant 7 à 10 jours semble maintenant devoir être préféré [4, 6-8].
En effet, la structure moléculaire de la pénicilline, distincte du noyau bêtalactame, est très proche de celle du GABA, principal neurotransmetteur inhibiteur, et serait susceptible, par une action compétitive, d’avoir un effet inhibiteur supplémentaire sur le GABA [8] et ainsi d’aggraver les spasmes dans le cadre du tétanos [4, 6-8]. De plus, des études cliniques comparant l’efficacité de la pénicilline et du métronidazole ont, pour certaines, mis en évidence une diminution de la mortalité lors de l’utilisation du métronidazole [21], ou une diminution de la quantité de myorelaxant nécessaire pour contrôler les spasmes [8].
Prévention des complications précoces
Les pneumopathies d’inhalation et le laryngospasme sont des causes classiques de mortalité du tétanos si la liberté des voies aériennes n’est pas assurée suffisamment tôt [4]. En effet, les faibles capacités de toux liées à la fois à la rigidité musculaire et à l’éventuelle sédation utilisée, associées à l’incapacité d’avaler la salive, aux spasmes pharyngés, à la stase gastrique et à l’augmentation de la pression intra-abdominale lors de spasmes favorisent nettement les risques d’inhalation [4].
Par ailleurs, dans les formes sévères, les spasmes peuvent survenir dans les 24 heures suivant les premiers symptômes, augmentant ensuite en fréquence et en intensité, ce qui nécessite également le contrôle précoce des voies aériennes supérieures. Ainsi, dès le diagnostic de tétanos établi, le patient doit être transféré dans une unité de réanimation pour qu’une surveillance attentive soit réalisée afin de pouvoir recourir au plus tôt à la mise sous ventilation mécanique en cas de nécessité. Cependant, les traitements ultérieurs dépendant de la gravité de la maladie (Tableaux 2, 3), les patients souffrant d’une forme modérée de tétanos pourront être réorientés après quelques jours vers des services de soins continus.
Contrôle des spasmes et de la rigidité
Une sédation importante est souvent nécessaire pour contrôler la survenue des spasmes et la rigidité, associée à une ventilation mécanique. Cependant, dans les formes les plus sévères, le recours à une curarisation, ponctuelle avant les stimulations (soins) ou continue, peut être nécessaire pour contrôler la survenue des spasmes [4].
Benzodiazépines
Les benzodiazépines sont les médicaments de choix, utilisés en première intention, dans la sédation des patients souffrant de tétanos du fait de leur propriété myorelaxante en rapport avec un effet agoniste du GABA.
Parmi les benzodiazépines, le diazépam (Valium®) est la molécule la plus souvent utilisée, à des doses élevées de l’ordre de 15 à 100 mg h–1, voire plus.
Cependant, à forte posologie, son utilisation peut s’accompagner Bd’un certain degré d’acidose métabolique à rapprocher du solvant utilisé avec le diazépam, le propylène-glycol. Par ailleurs, le diazépam peut être à l’origine de thrombose veineuse de par sa veinotoxicité, et présente des métabolites actifs de très longue demi-vie pouvant être responsables de sédation résiduelle prolongée après l’arrêt du traitement. Aussi, le midazolam (Hypnovel®) est maintenant préféré car ne présentant pas ces effets indésirables, même si son utilisation à posologie importante pendant une durée prolongée peut entraîner également un réveil tardif [4]. La principale limite à la généralisation de son utilisation est son coût plus élevé, surtout dans les pays dits « en voie de développement ». Le sevrage des benzodiazépines, par paliers successifs, est le plus souvent envisagé à partir de 15 jours d’évolution.
Baclofène (Liorésal®)
Le baclofène est un agoniste GABA restaurant physiologiquement l’inhibition du
motoneurone [22].Il réduit les réflexes ostéotendineux mono- et polysynaptique et produit une myorelaxation dose-dépendante [4]. Cependant, le baclofène ne passe pas la barrière hématoencéphalique et nécessite donc une administration intrathécale qui peut être continue [23-26] ou discontinue [27, 28]. Dans toutes les études, le baclofène a permis le contrôle des spasmes et de la rigidité ; la principale limitation à son utilisation demeure cependant le risque infectieux de méningite [4, 26] ainsi que les effets secondaires de dépression respiratoire et de coma pouvant nécessiter le recours à la ventilation mécanique [7].
Dantrolène (Dantrium®)
Le dantrolène est un myorelaxant direct du muscle squelettique qui agit par inhibition de la libération du calcium par le réticulum sarcoplasmique, ce qui évite indirectement le couplage myosine-adénosine triphosphatase (ATPase) et la contraction musculaire [4]. Avec ce traitement, certains auteurs ont pu éviter le recours à la ventilation mécanique [29] ou mettre en évidence une diminution de la mortalité chez l’enfant [30].
Cependant, lors d’une administration prolongée, il est capital de surveiller les enzymes hépatiques du fait d’un risque important de toxicité [4].
Propofol (Diprivan®)
Le propofol a été utilisé en administration en intraveineux continu, à la posologie de 4 mg kg–1 h–1 après un bolus de 50 mg. Cependant, il ne semble pas permettre le contrôle des manifestations neurovégétatives et pourrait même participer aux problèmes hémodynamiques par son effet vasodilatateur [4].
Malgré tout, il présente les avantages d’une demi-vie courte, de l’absence d’accumulation et pourrait permettre pour certains d’éviter l’utilisation des curares [31].
Curares
Le pancuronium (Pavulon®) est intéressant du fait de sa longue demi-vie (110 à 120 min) et de son faible coût. Cependant, il inhibe la recapture des catécholamines et pourrait ainsi aggraver l’instabilité hémodynamique rencontrée dans les formes les plus graves de tétanos avec syndrome dysautonomique [4, 7]. Le vécuronium (Norcuron®) semble donc être la molécule de choix du fait de sa demi-vie (71 min) et de l’absence d’effet cardiovasculaire décrit [32]. Malgré tout, l’utilisation prolongée de curare en réanimation pourrait être incriminée dans le développement de neuromyopathie [33], et idéalement, ces différentes molécules ne devraient être utilisées que ponctuellement, même si aucun cas de neuromyopathie dans les suites d’un tétanos n’a été attribué à l’utilisation des curares [34].
Contrôle du syndrome dysautonomique
Passé la phase initiale et le risque de décès en cas de contrôle trop tardif des voies aériennes, un des principaux facteurs de mortalité est l’instabilité hémodynamique entrant dans le cadre du syndrome dysautonomique [6].
En l’absence de consensus sur les critères nécessaires pour définir ce syndrome, il faut faire la distinction entre les manifestations en rapport avec d’éventuels troubles neurovégétatifs et les manifestations hémodynamiques éventuellement associées aux spasmes [4].La première étape du contrôle du syndrome dysautonomique comporte l’administration des sédatifs-myorelaxants, notamment les benzodiazépines qui, par leur effet agoniste GABA, permettent de réduire l’instabilité neurovégétative [8].
Cependant, dans le contexte de syndrome dysautonomique sévère, un monitorage cardiovasculaire parfois invasif semble pouvoir diminuer la mortalité en permettant une meilleure adaptation des différents traitements disponibles [35]. a- et -bloquants
Le blocage simultané des récepteurs a et b-adrénergiques présente l’avantage théorique d’éviter une hypothétique tachycardie réactionnelle à l’utilisation d’a-bloquant, ainsi qu’une hypothétique aggravation de l’hypertension artérielle en utilisant un b-bloquant [6]. Pourtant, malgré ces avantages théoriques, le labétalol (Trandate®) a pu être rendu responsable d’insuffisance cardiaque [36], vraisemblablement en rapport avec un effet b-bloquant prédominant [4]. De plus, si d’authentiques « orages catécholaminergiques » existent, pouvant être à l’origine d’une multiplication par 10 du taux plasmatique de noradrénaline atteignant les niveaux rencontrés lors du phéochromocytome [37], ils sont souvent suivis d’une chute brutale de l’activité sympathique laissant la place à d’éventuels surdosages de médicaments sympatholytiques de demi-vie inadaptée [8].
Atropine
Pour certains auteurs, l’hyperactivité du système parasympathique apparaît être un des éléments déterminants des manifestations neurovégétatives du tétanos [38], et l’utilisation de l’atropine à des doses élevées, jusqu’à 100 mg h–1 a pu être préconisée [38]. Les auteurs suggèrent qu’à ces doses élevées, l’atropine bloque les récepteurs muscariniques et nicotiniques, possède un effet sédatif et pourrait être responsable d’un bloc neuromusculaire [7, 38].
Opiacés
Les opiacés sont fréquemment utilisés en association à d’autres hypnotiques dans le cadre de la sédation des patients de réanimation placés sous ventilation mécanique [39]. Aussi, dans le cadre du tétanos, la morphine a été utilisée à des posologies variant de 20 à 2 500 mg j–1 sans manifestation hémodynamique associée, afin de restaurer l’activité opioïde endogène, ou de réduire la libération d’histamine ou l’activité sympathique réflexe [4, 7]. Le fentanyl semblerait préférable dans cette indication [6], même si plus récemment, certains auteurs ont pu utiliser le rémifentanil avec succès également [40].
Clonidine (Catapressan®)
La clonidine, agoniste partiel des récepteurs a2, est responsable d’une diminution de la libération des catécholamines à l’origine de son effet thérapeutique antihypertenseur [4].
Cependant son utilisation dans le cadre du tétanos est à l’origine de résultats variables [41-43] et nécessite d’autres études avant de pouvoir être préconisée [4].
Magnésium
Le magnésium possède des propriétés vasodilatatrices et diminue la libération de catécholamines [4].
Le magnésium pourrait donc être un des traitements du syndrome dysautonomique du tétanos [4, 44] même si ses effets bénéfiques semblent se manifester surtout en association avec le traitement sédatif et myorelaxant [42, 45].
Traitement symptomatique de réanimation
Que ce soit à la phase tout initiale pour assurer la liberté des voies aériennes ou à la phase plus tardive avec l’utilisation de myorelaxant, le recours à l’intubation et à la mise sous ventilation mécanique est fréquent et ne doit pas être différé du fait des risques d’aggravation brutale de la symptomatologie respiratoire. De plus, la limitation de l’ouverture de bouche liée au trismus rend la réalisation de l’intubation délicate et nécessite la curarisation. La ventilation mécanique des patients souffrant de tétanos ne présente aucune particularité, toutefois, comme ces patients sont susceptibles de nécessiter une ventilation mécanique prolongée, et comme la présence d’une sonde endotrachéale est susceptible de favoriser la survenue de laryngospasme, une trachéotomie précoce peut s’avérer nécessaire [6].
Celle-ci sera réalisée préférentiellement par voie percutanée, afin de minimiser tout risque d’aggravation des spasmes et de la rigidité lors du transfert au bloc opératoire [8].
Par ailleurs, du fait d’un séjour généralement prolongé en réanimation, et de l’utilisation de sédation à forte posologie durant de longues périodes, les patients atteints de tétanos souffrent d’une immobilité prolongée. Aussi, afin de minimiser les conséquences nutritionnelles, la perte de poids et la fonte musculaire souvent inéluctables, il est indispensable d’optimiser l’alimentation souvent parentérale au début [7]. De même, une attention toute particulière sera apportée aux risques inhérents au séjour prolongé en réanimation afin de limiter les risques d’infections nosocomiales, de complications de décubitus et de maladies thromboemboliques.
Prévention des récidives
La prévention des récidives doit systématiquement être réalisée chez les patients atteints de tétanos par la réalisation d’une vaccination complète car il n’y a pas assez de toxinecirculante durant la phase d’incubation pour obtenir une réponse immunitaire protectrice satisfaisante [6].
Déclaration obligatoire
En France, le tétanos est une maladie à déclaration obligatoire.
“ Points forts • Diagnostic clinique précoce devant l’association d’un trismus avec le signe de l’abaisse-langue captif. • Transfert dans un service de réanimation. • Administration de 500 UI d’immunoglobulines humaines antitétaniques par voie intramusculaire (Gammatetanos® 250 UI/2 ml). • Antibiothérapie par métronidazole 500 mg toutes les 8 heures pendant 10 jours. • Contrôle des voies aériennes. • Traitement de la porte d’entrée sous anesthésie générale. • Contrôle des spasmes et de la rigidité par l’utilisation de benzodiazépines. • Contrôle du syndrome dysautonomique. • Traitement symptomatique de réanimation. • Vaccination systématique. • Déclaration obligatoire |