medicalised transport,medical assistance, plastic surgery
Anesthésie du nourrisson et de l'enfant
Jean Camboulives : Professeur des Universités, praticien hospitalier
Olivier Paut : Praticien hospitalier
Jean-Yves Marti : Praticien hospitalier
Département d'anesthésie réanimation pédiatrique, hôpital d'enfants de la Timone, 13385 Marseille cedex 5 France
Résumé
La mortalité liée à l'anesthésie a considérablement diminué au cours des 30 dernières années aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte [105]. Cette amélioration tient à une meilleure formation des anesthésistes, à une amélioration de l'équipement, du monitorage et à l'effort entrepris dans la pratique de l'anesthésie (développement des consultations d'anesthésie, mise en place de salles de surveillance postinterventionnelle, meilleure organisation de l'activité du bloc opératoire). Cependant la morbidité liée à l'anesthésie reste encore élevée chez l'enfant de moins de 3 ans et plus particulièrement chez le nourrisson de moins de 1 an. Des enquêtes récentes sur la mortalité et la morbidité de l'anesthésie pédiatrique permettent de mieux connaître les facteurs de risque propres à l'enfant et de définir une stratégie adaptée pour les prévenir. Ainsi, l'enquête confidentielle réalisée en Grande-Bretagne en 1989 a clairement indiqué que l'issue de l'anesthésie et de la chirurgie pédiatrique dépendait de l'expérience des médecins impliqués [20]. La plupart sinon la totalité des complications anesthésiques relèvent d'une erreur humaine et sont en fait évitables chez l'enfant comme chez l'adulte [103]. L'effort doit porter sur la généralisation du monitorage de sécurité par la stricte adhésion aux standards recommandés par la Société française d'anesthésie réanimation (SFAR) et sur l'amélioration de la formation des anesthésistes d'enfants.
ÉVALUATION PRÉOPÉRATOIRE ET PRÉMÉDICATION
Consultation d'anesthésie
L'anesthésie peut représenter pour l'enfant une véritable épreuve dont les conséquences émotionnelles sont considérables. Elle nécessite une préparation soigneuse précédée d'une évaluation préopératoire suivie ou non d'une prémédication. Elle est au mieux réalisée lors de la consultation d'anesthésie qui a lieu plusieurs jours avant l'intervention (en moyenne une semaine). Il s'agit d'une consultation spécialisée, reconnue comme telle par la Sécurité sociale et dont les modalités sont définies par le décret du 5 décembre 1994. C'est un moment privilégié où l'anesthésiste va rencontrer à la fois l'enfant et ses parents. Pour éviter les répétitions par des questions inutiles, tous les éléments dont on dispose doivent être consultés : en premier lieu le carnet de santé et le dossier clinique mais également, si l'enfant a été hospitalisé, les notes de l'infirmière et la courbe de température.
L'histoire clinique apporte des informations essentielles sur le diagnostic, l'état de l'enfant et l'intervention proposée. Un questionnaire est habituellement remis aux parents, à la recherche d'une allergie, d'un terrain asthmatique, d'une tendance au saignement, d'une sensibilité particulière aux infections ORL ou d'une intervention antérieure. Une fièvre peropératoire élevée ou des incidents anesthésiques familiaux orientent vers une hyperthermie maligne. Quelques rares enfants reçoivent un traitement qui peut interférer avec l'anesthésie comme les digitaliques, les anticonvulsivants ou les corticoïdes. La banale prise d'aspirine doit être recherchée, de façon à l'interrompre 10 jours avant l'intervention, en raison des risques hémorragiques qui lui sont propres. L'état des voies respiratoires supérieures est une grande préoccupation en anesthésie pédiatrique. Leur atteinte peut compromettre une anesthésie par inhalation. Il faut d'autre part rechercher un syndrome d'apnée du sommeil de nature obstructive, qui peut être méconnu, en particulier chez les candidats à une amygdalectomie ou à une adénoïdectomie [167]. Des antécédents de laryngite aiguë, spontanée ou secondaire à une intubation seront soigneusement consignés. Une pathologie pulmonaire aiguë comme la bronchiolite causée dans la majorité des cas par le virus syncytial respiratoire (VRS) est bien naturellement une contreindication temporaire à une intervention programmée. La pathologie chronique la plus fréquente est représentée par l'asthme et la mucoviscidose qui nécessitent une évaluation précise du retentissement fonctionnel de ces affections. L'existence d'une cardiopathie congénitale est en général connue des parents. On évalue sa symptomatologie qui peut se manifester par une cyanose et/ou des signes d'insuffisance cardiaque congestive. Ces enfants doivent bénéficier d'une antibiothérapie préventive en raison du risque d'endocardite bactérienne. Une pathologie neurologique peut être au premier plan en cas de tumeur cérébrale avec hypertension intracrânienne.
Dans ce cas tout traitement sédatif susceptible d'entraîner une dépression respiratoire sera évité.
L'examen clinique sera systématique, appareil par appareil, avec une attention toute particulière pour les voies aériennes supérieures. En raison de la grande variété de patients et de pathologies rencontrés en anesthésie pédiatrique, il est impossible de donner des règles générales pour cette évaluation préopératoire. Cet examen commence par une appréciation globale sans toucher l'enfant, en raison de ses éventuelles réactions de défense. Le poids et la taille sont bien évidemment notés. Une cassure de la croissance staturopondérale correspond souvent au début réel d'une affection sévère. L'état nutritionnel est apprécié sur les habitudes alimentaires et des critères anthropométriques simples. L'examen de la sphère ORL doit être soigneux : hypertrophie amygdalienne, dents branlantes ou manquantes, appareil dentaire fixe ou amovible. Les critères prédictifs d'intubation difficile sont recherchés de façon systématique par trois tests : ouverture de la bouche, extension de la tête, mesure de la distance thyromentale. La valeur prédictive de ces tests n'a cependant pas encore été évaluée en pédiatrie.
Les trois facteurs anatomiques reconnus d'intubation difficile sont une disproportion de la langue par rapport au pharynx, une limitation de l'extension atlanto-occipitale et une réduction de l'espace mandibulaire [17]. L'examen cardiovasculaire permet de relever les valeurs de la fréquence cardiaque et de la pression artérielle en les comparant aux valeurs normales pour l'âge. Après l'âge de 2 ans, la pression artérielle systolique (PAS) normale peut être calculée grâce à la formule suivante : (âge en années) Cependant, la prise de la tension artérielle chez un nourrisson qui pleure ou qui est agité est sans valeur. Un souffle cardiaque peut être signalé par la famille mais non étiqueté ou découvert lors de la visite préopératoire. Un souffle qui disparaît en position debout a toute chance d'être innocent. Ces souffles innocents sont très fréquents chez l'enfant sain, retrouvés dans plus de 50 % des cas dans certaines expériences [130]. En fait, l'auscultation n'est qu'une étape dans la détection d'une cardiopathie congénitale. Le caractère organique et fonctionnel d'un souffle est apprécié par un examen simple comprenant quatre étapes : compter la fréquence cardiaque ; regarder la coloration des ongles, des lèvres et de la peau ; apprécier l'impulsion précordiale ;évaluer l'amplitude des pouls périphériques au niveau des bras et des jambes [93].
Si une anomalie est suspectée, un examen plus complet est indiqué et l'enfant est alors adressé à un cardiologue pédiatre. L'existence d'une cyanose est souvent difficile à affirmer. Sa confirmation par la mesure de la SaO2 à l'oxymètre de pouls est alors très utile. À la fin de cet examen clinique, l'état physique préanesthésique de l'enfant est résumé selon la classification bien classique de la Société américaine d'anesthésiologie (ASA). L'ensemble de cet examen doit obligatoirement être consigné par écrit et le document conservé dans le dossier du patient.
Cas particuliers
Anciens prématurés
Les problèmes spécifiques propres au nouveau-né prématuré sont analysés par ailleurs.
Plusieurs publications ont montré que le nourrisson ancien prématuré présente un risque accru de complications postopératoires comparativement au nouveau-né à terme pour une chirurgie identique [88, 150]. Il s'agissait essentiellement d'apnées supérieures à 20 secondes, associées à une bradycardie ou à une cyanose. L'anesthésiste peut alors choisir avec le chirurgien de retarder la chirurgie jusqu'à ce que l'enfant ait atteint un âgepostconceptionnel (âge gestationnel plus âge postnatal) suffisant comme le proposent Gregory et Steward [57], mais cette attitude expose à un risque d'intervention en urgence en cas de hernie inguinale étranglée irréductible par exemple. Dans tous les cas cet ancien prématuré doit bénéficier d'un monitorage d'apnée durant les 18 heures postopératoires [57]. L'administration intraveineuse de citrate de caféine (10 mg·kg-1) est recommandée pour prévenir les apnées postopératoires, sans toutefois permettre de se passer de ce monitorage [171]. L'âge postconceptionnel au-delà duquel ce risque d'apnée postopératoire disparaît reste controversé [95, 98]. Récemment, une analyse combinée de huit études prospectives, a permis à Coté et al de déterminer avec une plus grande puissance statistique ce risque d'apnée chez l'ancien prématuré [31]. Cette analyse a confirmé que le risque était inversement proportionnel à l'âge gestationnel et à l'âge postconceptionnel, en précisant que la fréquence d'apnée postopératoire serait inférieure à 1 % pour un âge postconceptionnel de 54-56 semaines. Cette étude a d'autre part insisté sur le risque très significatif que représente l'anémie (hématocrite < 30 %), en particulier chez les patients de plus de 43 semaines d'âge postconceptionnel. Dans ce cas-là, un monitorage d'apnée doit être également prévu chez les nourrissons plus âgés (après 60 semaines d'âge postconceptionnel) [31].
Infection des voies aériennes supérieures
Il s'agit d'une pathologie fréquente chez l'enfant, particulièrement en automne et en hiver.
Le risque réel de l'anesthésie chez l'enfant " enrhumé " est diversement apprécié [22, 34, 152]. Desoto et al ont noté que 20 % des enfants porteurs d'une infection des voies respiratoires supérieures (IRS) présentent un désaturation (SpO2 < 95 %) en salle de réveil [34]. Dans l'étude prospective de Cohen et Cameron portant sur 1 283 enfants avec une IRS comparativement à 20 876 enfants sans IRS, le risque de développer une complication respiratoire en per- ou postopératoire était 2 à 7 fois plus fréquent en présence d'une IRS [22]. En cas d'intubation, ce risque était multiplié par 11. Dans l'étude de Olsson et al portant sur près de 24 500 enfants de moins de 9 ans, la fréquence du bronchospasme était multipliée par 10 en cas d'IRS et celle du laryngospasme par 5 [115].
La conclusion est que l'administration d'une anesthésie générale chez l'enfant avec une IRS n'est pas bénigne et nécessite une surveillance et un traitement plus attentif durant toutes les phases de l'intervention. L'étude de Tait et Knight [152] est statistiquement inadéquate, avec un trop petit échantillon de patients (80 dans chaque groupe) pour que leur conclusion inverse puisse être retenue. D'autre part, dans cette étude aucun des patients n'était intubé. En pratique les enfants présentant une IRS moyenne et non aiguë peuvent être anesthésiés en toute sécurité pour une chirurgie mineure n'imposant pas d'intubation trachéale. Dans le cas contraire le risque de laryngospasme, de bronchospasme et de désaturation impose une surveillance attentive et l'administration délibérée d'oxygène. En cas d'infection aiguë avec fièvre, écoulement nasal purulent et toux, l'intervention est reportée dans un délai de 7 semaines pour certains auteurs ou de 2 semaines après résolution des symptômes pour d'autres.
Examens complémentaires
L'habitude bien ancrée d'effectuer toute une batterie d'examens préopératoires en routine avant une intervention chirurgicale sous anesthésie est remise en question depuis quelques années chez l'enfant comme chez l'adulte [2, 59, 96, 114, 133, 178]. Il n'y a aucune recommandation particulière concernant les examens complémentaires préopératoires chez l'enfant. Dans la quasi-totalité des cas, ils sont réalisés chez des enfants asymptomatiques. Leonard et al ont montré, dans un hôpital où 2 816 enfants furent examinés, que le profil biochimique n'a pas de valeur significative dans le dépistage préopératoire des enfants hospitalisés pendant moins de 1 semaine [83]. Les examens de laboratoires ne permettent d'annuler que cinq interventions sur les 486 qui étaient programmées chez l'enfant dans l'étude de O'Connor et al [114]. Dans certains cas cette annulation ou ce report de l'intervention peut être à l'origine de complication nécessitant alors une intervention en urgence [114].
Soixante-quatorze pour cent des enfants porteurs d'une anémie ou d'une microcytose ne bénéficièrent d'aucun suivi dans cette étude [114]. Chez l'enfant, la prescription systématique d'examens complémentaires peut être abandonnée au profit d'une prescription sélective basée sur les données de l'interrogatoire et de l'examen clinique recueillies lors de la consultation d'anesthésie. Cependant, il faut bien reconnaître qu'il existe une certaine réticence à changer notre pratique médicale dans ce domaine. Toutes les études pédiatriques indiquent clairement que la radiographie du thorax préopératoire ne révèle que bien peu d'anomalies qui ne soient suggérées par l'histoire et l'examen clinique et concluent que sa réalisation systématique n'est pas justifiée chez l'enfant et peut être abandonnée [40, 178]. En 1983, à la suite d'une série d'articles publiés dans Pediatrics, l'Académie américaine de pédiatrie s'est d'ailleurs prononcée sur le caractère non obligatoire de la radiographie du thorax en routine [2].
La mesure de l'hématocrite/hémoglobine restait pour de nombreux auteurs le bilan minimal à pratiquer avant toute intervention. Cette pratique a été fortement remise en question ces dernières années, avant une chirurgie mineure. En effet, la prévalence de l'anémie retrouvée chez des groupes de 2 000 à 2 500 enfants avant une chirurgie ambulatoire est très faible (0,5 %) et elle est retrouvée essentiellement chez l'enfant de moins de 1 an [59, 133]. L'existence d'une anémie modérée ne modifie pas la décision opératoire. En pratique, la détermination de l'hématocrite ou de l'hémoglobine ne paraît pas justifiée et peut être éliminée comme examen complémentaire de routine chez l'enfant de plus de 1 an avant une chirurgie mineure [133]. Elle n'est indiquée que pour des interventions potentiellement hémorragiques. Il en va tout autrement quand cette anémie est associée à une hypovolémie. Chez le nourrisson et le jeune enfant les valeurs normales de l'hémoglobine sont physiologiquement plus basses que chez l'adulte. Si un taux d'hémoglobine à 10 g·100 mL-1 est acceptable chez un adulte dont la P50 est à 27 mmHg, 8 g·100 mL-1 devraient théoriquement être suffisants chez un enfant de plus de 3 mois dont la P50 est à 30 mmHg. Dans ce cas-là en effet, la quantité d'oxygène délivrée aux tissus par gramme d'hémoglobine est augmentée. Les valeurs seuil doivent donc être modifiées en tenant compte de l'âge de l'enfant.
La numération des plaquettes fait habituellement partie du bilan d'hémostase. Un taux inférieur à 100 G·L-1 est considéré comme anormal quel que soit l'âge de l'enfant. En l'absence de symptômes suggérant une thrombocytopénie, rien ne permet de recommander ce test en routine. Pour mettre en évidence une tendance hémorragique, le meilleur moyen reste encore un interrogatoire minutieux et un examen attentif. Watson- Williams propose une série de dix questions portant sur les antécédents chirurgicaux et les soins dentaires de l'enfant ou de sa famille . Une exploration de l'hémostase est nécessaire en cas d'une seule réponse positive aux quatre premières questions ou au moins de deux aux six dernières [164].
Ce genre d'interrogatoire peut être fourni à la famille sous forme d'un questionnaire lu et rempli dans la salle d'attente de la consultation d'anesthésie. Le résultat du temps de céphaline activé (TCA) est considéré comme anormal pour un allongement de plus de 8 secondes par rapport au témoin. Chez le jeune enfant bien des anomalies tiennent en fait aux difficultés de prélèvement. On peut d'autre part envisager d'élever chez eux la limite de la normalité de 2 à 3 secondes en raison du raccourcissement du TCA avec l'âge. Ce test a une très bonne sensibilité, voisine de 100 %, pour le dépistage d'une hémophilie mais moins bonne dans la maladie de von Willebrand. Le consensus est loin d'être obtenu pour le bilan d'hémostase chez l'enfant. Certains anesthésistes restent très attachés à ce bilan chez le nourrisson avant l'âge de la marche car une anomalie de l'hémostase peut alors ne pas avoir eu l'opportunité de se manifester jusque-là. Certains auteurs s'accordent encore à reconnaître que pour une intervention à risque hémorragique comme l'amygdalectomie, l'exigence d'un bilan d'hémostase semble raisonnable chez le jeune enfant. Cette attitude intuitive n'est en fait pas confirmée dans la réalité. Ainsi dans l'étude de Manning et al, taux de prothrombine (TP) et TCA se révèlent de faibles facteurs prédictifs d'hémorragie après adénoïdectomie et/ou amygdalectomie [96]. Le risque de saignement est lié davantage à des problèmes anatomiques ou chirurgicaux qu'à un trouble de l'hémostase. Une hémorragie grave est peu probable chez l'enfant asymptomatique.
Le TP apporte très peu d'informations par rapport au TCA. Les anomalies du TP sont observées en cas de maladies avancées et en tous les cas symptomatiques comme une malabsorption, une maladie hépatique ou une malnutrition protéinocalorique.
La réalisation du temps de saignement (TS) se heurte à des difficultés d'ordre pratique. Il ne peut être interprété valablement que s'il est réalisé par la technique d'Ivy et selon une méthode standardisée (Simplate). Il est bien évidemment influencé par le chiffre des plaquettes et le tonus vasculaire. Il est utile dans la détection d'une maladie de von Willebrand. Là encore, il s'avère qu'un très petit nombre de patients ont un allongement du TS sans facteurs de risque apparent. Il paraît en pratique beaucoup plus intéressant d'éliminer à l'interrogatoire une prise d'aspirine qui va être responsable d'une dysfonction plaquettaire par inhibition de la cyclo-oxygénase. Cette inhibition se maintient pendant toute la durée de vie des plaquettes (10 jours) alors même que le TS est revenu à la normale en 2 à 3 jours. Il semble plus prudent de reporter une intervention non urgente dans un délai de 10 jours après l'ingestion d'aspirine chez l'enfant.
L'ionogramme sanguin n'est certainement pas justifié chez l'enfant asymptomatique. Il ne sera demandé qu'en cas de troubles digestifs, d'un déséquilibre de l'équilibre acidobasique ou de prise de diurétiques. Le dosage de la glycémie préopératoire ne préjuge en rien de la glycémie au moment de l'induction. De nombreuses études ont montré que le risque d'hypoglycémie était en réalité faible chez l'enfant même après un jeûne prolongé.
D'autres tests de dépistage ont pu être proposés : test de grossesse chez l'adolescente de façon à éviter les implications possibles d'une anesthésie au cours d'une grossesse méconnue ou cachée ; test de falciformation chez les enfants de race noire. Dans une étude récente, plus de 80 % des analyses d'urines anormales étaient soit connues, soit considérées comme sans importance clinique ou tout simplement de faux positifs [114]. L'analyse d'urines ajoute peu à l'évaluation préopératoire de l'enfant en bonne santé et peut donc être omise [114]. L'électrocardiogramme (ECG) n'est pas justifié chez l'enfant en dehors d'une pathologie cardiovasculaire préexistante. L'interrogatoire et l'examen clinique sont de bien meilleurs éléments de dépistage d'une cardiopathie congénitale que l'ECG. En cas de doute une consultation cardiologique s'impose. La détermination du groupe sanguin n'est indispensable que pour les interventions comportant un risque hémorragique reconnu. Il faut savoir que des interventions mineures comme une simple fermeture de colostomie peuvent nécessiter une transfusion chez un enfant de moins de 2 ans.
L'attitude est moins bien définie pour les interventions potentiellement hémorragiques comme par exemple l'amygdalectomie Enfin, si un examen complémentaire a été pratiqué dans un délai inférieur à 6 mois, il n'est pas utile de le répéter s'il n'y a pas eu de modifications symptomatiques entre temps. Jeûne préopératoire Jusqu'à ces dernières années, les consignes traditionnelles de jeûne préopératoire chez l'enfant, reposaient, comme chez l'adulte, sur la sacro-sainte règle de " rien après minuit ". Elle était fondée sur le risque d'inhalation du contenu gastrique chez un patient non à jeun. S'il serait dangereux de contester ce principe pour les solides, les classiques facteurs de risque d'inhalation que sont un pH gastrique inférieur à 2,5 et une quantité de liquide gastrique supérieure à 0,4 mL·kg-1 sont très sérieusement remis en question [25]. Ces données ont été établies sur la base d'études animales bien éloignées de la pratique anesthésique quotidienne, car si tel était le cas, 60 à 90 % des enfants bien portants devant bénéficier d'une intervention programmée seraient considérés à risque [41, 148]. Toutes les études épidémiologiques au contraire s'accordent à reconnaître le très faible risque d'inhalation de liquide gastrique durant la période périopératoire chez l'enfant ASA 1-2 (1 à 8,6/10 000) avec une évolution habituellement favorable [116, 155, 165]. Dans ces conditions, l'administration prophylactique systématique d'anti-H2 ou de tout autre antiacide n'apparaît pas indiquée chez l'enfant, en dehors de ceux porteurs d'un reflux gastro-oesophagien symptomatique ou en cas d'intubation difficile. L'évacuation gastrique est très rapide pour les liquides clairs. On sait par exemple que chez l'adulte le temps de demi-vidange gastrique est de seulement 12 minutes pour du simple sérum salé isotonique. En fait la durée imposée du jeûne préopératoire de 6 à 8 heures est empirique.
Plusieurs études récentes ont bien montré que le volume et le pH du liquide gastrique n'étaient pas influencés par la durée du jeûne préopératoire [41, 138, 170]. Dans l'étude de Schreiner et al les enfants autorisés à recevoir un liquide clair (jus de pomme) jusqu'à 2 heures avant l'induction anesthésique n'avaient pas un liquide gastrique significativement différent (en volume ou en pH) de celui des enfants soumis à un jeûne classique de 6 heures [138]. En d'autres termes, un jus de pomme avalé jusqu'à 2 heures avant une intervention programmée n'augmente pas le risque d'inhalation chez l'enfant. L'avantage d'une telle pratique, plus humaine, apparaît clairement en termes de satisfaction des parents et de l'enfant. Ces études sont à l'origine de nouvelles règles de jeûne préopératoire [121], résumées sur le tableau II. Sont considérés comme liquides clairs, les jus de fruits sans pulpe (jus de pomme, jus de raisin) à l'exclusion du jus d'orange ou d'ananas (habituellement avec pulpe), les sirops dilués dans l'eau (menthe, grenadine) et le thé (en Grande-Bretagne !). Le volume autorisé est variable selon les institutions : ad libitum ou plus raisonnablement fixé à 10 mL·kg-1, ce qui représente en pratique un demibiberon d'eau sucrée chez le nourrisson et 2 à 3 verres de jus de pomme chez l'enfant. L'adoption de ces nouvelles règles (ce qui est maintenant le cas dans de nombreuses institutions), devrait changer de façon significative la pratique anesthésique, en particulier la prise en compte du déficit hydrique lié au jeûne préopératoire dans les règles de perfusion peropératoire.
Le bénéfice caché d'une telle attitude est d'éviter la survenue d'hypotension durant l'induction chez des enfants relativement hypovolémiques en raison d'un jeûne prolongé. On sait maintenant que le risque d'hypoglycémie est faible (0,66 %), même pour des durées de jeûne préopératoire que les aléas de la programmation d'un bloc opératoire peuvent rendre supérieures à 12 heures [112, 117, 169], quel que soit l'âge de l'enfant [112, 169] (exclusion faite du nouveau-né), le moment de l'intervention (le matin ou l'après-midi) [117] ou le type d'hospitalisation (ambulatoire ou non) [71], L'équipe de Welborn a montré que si aucun des enfants qui prenaient un jus de pomme jusqu'à 2 heures avant l'induction n'était hypoglycémique à l'induction, ce régime ne permettait pas d'éviter à coup sûr l'hypoglycémie peropératoire puisque chez encore 7 % d'entre eux il n'y avait pas d'augmentation de la glycémie durant l'intervention. On ne peut donc pas clore de cette façon la controverse récente sur l'utilisation de soluté glucosé en peropératoire [170].
Préparation psychologique
L'hospitalisation, plus que l'anesthésie elle-même, joue un rôle déterminant sur la réponse comportementale de l'enfant. Annoncer à un enfant qu'il va être opéré n'est pas chose facile. Chez les jeunes enfants, cette information est habituellement donnée par la mère dans les jours qui précèdent l'intervention. Chez l'enfant plus grand, une explication verbale est fournie dans les semaines ou les mois précédents. Pour les plus jeunes, on peut s'aider de brochures, d'albums de photo, de posters, de bandes dessinées, de jeux ou de films vidéo. Il faut rester simple et répondre à toutes les questions de l'enfant, en évitant tout ce qui pourrait être mal interprété par des explications claires. Il faut toujours dire la vérité. Par exemple ne pas affirmer à l'enfant qu'il n'aura pas de piqûre si l'on a prévu une induction au masque et prescrire une prémédication par voie intramusculaire.
Les enfants tolèrent un grand inconfort si on leur offre le support et la sympathie de notre compréhension [142]. Il faut souligner les aspects positifs de la vie à l'hôpital : pas d'école, des jeux, des cadeaux, des programmes télévisés. La rencontre de l'enfant et de ses parents lors de la consultation d'anesthésie va permettre d'évaluer le degré d'anxiété, en général bien corrélé avec l'attitude de l'enfant lors de l'induction. Un score d'anxiété, tel que celui proposé par Smith selon une échelle de 0 à 3 servira de base à la prémédication [142].
Prémédication
Principes généraux
La prémédication reste un sujet très controversé en anesthésie pédiatrique. Le nombre de publications et de protocoles proposés prouve que ce problème est loin d'être résolu. Jugée non nécessaire par certains auteurs, systématique pour d'autres, la prémédication doit certainement être individualisée en fonction de l'âge de l'enfant, de son degré d'anxiété préopératoire, de sa personnalité, de son degré de coopération et de son état physiologique et psychologique [142]. Il faut bien évidemment tenir compte également du type d'intervention chirurgicale, de son mode (ambulatoire ou non) ainsi que des souhaits des parents.
Le but de la prémédication est double : améliorer le confort de l'enfant en diminuant son anxiété, notion subjective, faciliter l'induction par la sédation qu'elle procure, notion objective. L'attitude de l'enfant à son arrivée en salle d'anesthésie et sa réaction à l'induction permettent d'apprécier ces deux aspects d'anxiolyse et de sédation de la prémédication. Les autres aspects de la prémédication sont plus directement orientés vers l'acte chirurgical. Elle vise alors à diminuer le stress opératoire et à prévenir les arythmies cardiaques en supplément de l'anesthésie ou à abolir les effets indésirables des agents anesthésiques (succinylcholine, halothane). Très schématiquement, la réponse de l'enfant à une expérience anesthésique varie selon son âge et sa maturité émotionnelle. Chez l'enfant de moins de 6 mois, la séparation maternelle ne semble pas très préjudiciable. Cette tranche d'âge peut être considérée comme très favorable pour des interventions programmées. Ensuite trois périodes peuvent être distinguées : l'enfant d'âge préscolaire (moins de 6 ans) présente une anxiété de séparation ; cette période est indiscutablement celle où l'hospitalisation entraîne les plus grandes perturbations émotionnelles ; les efforts de raisonnement sont souvent illusoires ; il conviendra de diminuer cette période de séparation en favorisant la présence de la mère lors de l'induction anesthésique ou en s'adressant à des prémédications sédatives ; l'enfant d'âge moyen, entre 6 et 9 ans a une peur de mutilation et craint les actes douloureux ; l'enfant plus grand, entre 10 et 14 ans redoute la perte de conscience associée à l'idée de la mort.
Ces deux derniers groupes bénéficient d'une préparation psychologique soigneuse. Bien évidemment, il faut tenir compte des cas spécifiques : l'enfant qui ne parle pas.
L'absence de communication, pour quelque raison que ce soit, est toujours défavorable.
Une expérience antérieure malheureuse ou une intervention chirurgicale majeure sont des facteurs anxiogènes bien connus. Les parents ont un rôle d'autant plus important que l'enfant est plus jeune. Une prémédication peut s'avérer nécessaire dans ces cas particuliers. La voie d'administration de cette prémédication est très importante chez l'enfant. Bien qu'elle soit habituellement plus efficace par voie parentérale, cette modalité n'est pas retenue à cause de la douleur à l'injection. La voie intramusculaire représente pour la plupart des enfants une agression qui va à l'encontre du but recherché. C'est souvent le plus mauvais souvenir de l'enfant. La voie orale est en général préférée par l'enfant. En pratique, c'est une voie qui est souvent retenue en anesthésie pédiatrique [42, 46]. La voie rectale qui est généralement bien acceptée par l'enfant, est très largement utilisée comme voie de prémédication [89, 135, 145]. Elle est d'ailleurs couramment utilisée en pédiatrie pour l'administration de diazépam dans le traitement des convulsions ou de paracétamol comme antipyrétique. L'absorption et les concentrations plasmatiques obtenues par cette voie ont été bien étudiées chez l'enfant pour différents médicaments [89, 135]. Plus récemment d'autres modes d'administration ont été proposés chez l'enfant, en particulier par voie transmuqueuse (intranasale et sublinguale) avec l'intérêt d'un délai d'action plus court [74, 176].
Médicaments
Plusieurs catégories de médicaments sont utilisables en prémédication chez l'enfant.
Anticholinergiques
Une enquête nationale australienne a confirmé que l'utilisation de l'atropine devient de moins en moins fréquente, y compris en anesthésie pédiatrique [118]. Il est certain que depuis l'abandon de l'éther, les propriétés antisialagogues de l'atropine sont moins utiles en anesthésie pédiatrique. Son rôle dans la prévention du laryngospasme, même s'il paraît logique par le biais de la diminution des sécrétions salivaires, n'a jamais été démontré. Actuellement, la majorité des auteurs préfèrent réserver l'administration d'atropine au moment de l'induction en raison des aléas du programme opératoire, ce qui évite d'autre part l'injection parentérale et la déplaisante sécheresse de la bouche qu'elle entraîne souvent. Elle reste cependant d'usage courant en pédiatrie pour prévenir la bradycardie induite par l'halothane, la succinylcholine, une stimulation mécanique ou le réflexe oculocardiaque lors de la chirurgie ophtalmologique. Les doses recommandées sont de 20 μg·kg-1, sans dépasser 0,6 mg. L'atropine est un médicament très sûr et les surdosages accidentels sont très bien tolérés. Il n'existe que de rares contreindications à son emploi, telles que certaines cardiopathies congénitales comme la sténose aortique et peut-être la mucoviscidose par son effet asséchant sur les sécrétions bronchiques. La classique contre-indication chez l'enfant porteur d'une trisomie 21 n'est plus retenue. Le glycopyrrolate aurait des avantages théoriques sur l'atropine : meilleur effet antisialagogue, période d'action plus prolongée, moindre effet tachycardisant, pas de passage de la barrière cérébroméningée. Sa posologie est la moitié de celle de l'atropine (10 μg·kg-1). Il n'est pas actuellement commercialisé en France.
Benzodiazépines
Elles ont actuellement la préférence des anesthésistes comme agent de prémédication en pédiatrie [42, 74, 135, 158, 176]. Elles ont tout à la fois des propriétés sédatives et anxiolytiques. L'anxiolyse semble proportionnelle à la dose administrée. Le diazépam est actuellement délaissé en raison de sa longue demi-vie (43 heures chez l'adulte), augmentée chez le nourrisson en raison d'une immaturité hépatique. Il peut s'administrer par voie orale à la dose de 0,3 à 0,5 mg·kg-1, 1 heure à 1 heure et demie avant l'intervention ou par voie rectale en solution (0,5 à 1 mg·kg-1) une demi-heure avant l'induction [145].
Le flunitrazépam, qui est également une benzodiazépine de longue durée d'action, est réservé au grand enfant. Il entraîne une meilleure sédation, avec une amnésie plus marquée et moins de vomissements postopératoires que le diazépam. Des réactions adverses à type de désorientation ou d'agressivité ont été décrites avec ce médicament. Le flunitrazépam, administré per os à une posologie moyenne de 70 μg·kg-1, est responsable d'une diminution de 30 % du volume courant [46]. Le rapport de puissance entre le flunitrazépam et le diazépam serait de 10 sur 1. Il peut s'administrer par voie orale, rectale ou sublinguale à des posologies variant entre 30 et 70 μg·kg-1 selon le poids de l'enfant, sans dépasser 2 mg.
Le midazolam est certainement la benzodiazépine la plus utilisée en prémédication chez l'enfant en raison de ses deux propriétés essentielles : hydrosolubilité et courte durée d'action (demi-vie d'élimination de 2 heures). Il entraîne une amnésie antérograde très intéressante dans cette indication. Pratiquement dénué d'effets irritants locaux, il peut être injecté par voie intraveineuse (0,1 à 0,2 mg·kg-1) sans provoquer de douleurs et de mouvements anormaux. Pour une administration par voie rectale, sous forme diluée (0,25 mg·mL-1), les posologies optimales de 0,35 à 0,40 mg·kg-1 sont plus élevées en raison d'une biodisponibilité située entre 0,4 et 0,5. L'intérêt d'une absorption muqueuse rapide par voie intranasale (biodisponibilité de 0,57) [158] et sublinguale a récemment été souligné [74, 176]. À la posologie recommandée de 0,2 mg·kg-1 de midazolam pur, l'anxiolyse et la sédation sont obtenues au bout de seulement 5 minutes.Par voie nasale, des doses supérieures (0,3 mg·kg-1) nécessitent des volumes plus grands et occasionnent alors toux et éternuement sans aucun bénéfice supplémentaire sur le degré de sédation [176].
Comparativement, la voie sublinguale est plus efficace et surtout mieux acceptée que la voie intranasale [74]. Le midazolam peut également être administré par voie orale à des posologies plus élevées de 0,5 à 0,75 mg·kg-1 en raison d'une biodisponibilité de seulement 0,3 par effet de premier passage hépatique. Le pic de concentration plasmatique d'environ 10 minutes par voie nasale [158], 20 minutes par voie rectale [135] et 50 minutes par voie orale [42] indique les délais habituellement retenus en pratique dans l'horaire de prescription.
Une dépression dose dépendante de la réponse au CO2 est retrouvée durant lachirurgie, mais la réponse ventilatoire au CO2 est adéquate en postopératoire.
Méthohexital
Il est très utilisé en Amérique du Nord chez l'enfant entre 6 mois et 6 ans, par voie rectale, à la posologie moyenne de 25 mg·kg-1 en solution à 10 % [49, 98]. Il s'agit d'une prémédication-induction, procurant un endormissement dans un délai moyen de 8 minutes. On peut reprocher à cette technique d'administration une biodisponibilité peu prévisible, marquée par l'extrême variabilité des taux sanguins obtenus. Chez certains enfants, le seuil d'endormissement clinique de 2 μg·mL-1 n'est jamais atteint alors que pour d'autres des taux supérieurs ont été observés entre 60 et 120 minutes [89].
Kétamine
Elle peut très exceptionnellement s'utiliser en prémédication chez un enfant combatif qui ne veut absorber aucun médicament, refuse énergiquement le masque, et ne peut étre anesthésié par voie intraveineuse en raison d'un abord veineux difficile. Une dose de 2 mg·kg-1 par voie intramusculaire suffit pour faciliter l'induction en près de 3 minutes. La kétamine peut également s'administrer par voie orale ou rectale à la dose de 6 mg·kg-1.
Morphiniques
Leur utilisation est illogique en l'absence de toute douleur préopératoire. Ils favorisent les vomissements postopératoires et le risque de dépression respiratoire peut également être redouté. Malgré ces inconvénients, la morphine reste largement utilisée en prémédication pédiatrique dans les pays anglophones. Elle paraît justifiée en cas d'interventions importantes, particulièrement pour la sédation des enfants porteurs de cardiopathies congénitales, spécialement en cas d'hypertension artérielle pulmonaire ou dans la tétralogie de Fallot. Les voies d'administration et la posologie usuelle des médicaments les plus couramment utilisés en prémédication sont résumées sur le tableau IV. En pratique : l'atropine est administrée préférentiellement par voie intraveineuse au moment de l'induction ; l'enfant de moins de 6 mois ne nécessite pas de prémédication ; l'enfant de 1 à 4 ans est habituellement prémédiqué, plus volontiers par voie rectale ou sublinguale ; l'enfant plus âgé doit bénéficier d'une préparation psychologique soigneuse, complétée au besoin par une prémédication par voie orale.