medicalised transport,medical assistance, plastic surgery
Mécanismes de contrôle de l’activité des neurones spinaux impliqués dans la nociception
La transmission spinale des messages nociceptifs est sous la dépendance d’influences excitatrices mais également d’influences inhibitrices. Ces phénomènes de modulation sont classés selon l’origine des mécanismes d’inhibition qui leur donnent naissance : il s’agit d’abord des contrôles segmentaires et contrôles d’origine supraspinale.
CONTRÔLES SEGMENTAIRES
L’activation des afférences cutanées de grand diamètre responsables des sensations tactiles peut déprimer les réponses de neurones spinaux aux stimulus nociceptifs. Il est généralement admis que ces phénomènes sont déclenchés par l’activation des seules fibres Ab, mais c’est bien de l’activation de fibres Ad que résultent les inhibitions les plus puissantes. Ces effets, d’origine essentiellement métamérique, dérivent directement des propriétés des champs récepteurs des neurones de la corne postérieure dont une partie est bien excitatrice, mais une autre inhibitrice (cf. Fig. 12). Appliquées sur cette dernière, des stimulations naturelles non nociceptives mais répétitives sont capables d’inhiber les réponses déclenchées par stimulation de la partie excitatrice du champ récepteur.
Pour concevoir le rôle de l’organisation spatiale de la convergence dans l’élaboration des messages issus de cette classe de neurones, il convient de tenir compte du recouvrement des champs excitateurs et inhibiteurs. [67, 85] L’organisation de ces champs (Fig. 18A) permet en effet d’expliquer pourquoi l’application de stimulations non nociceptives sur une grande surface corporelle n’active pas un grand nombre de neurones à convergence pour générer un « faux message nociceptif », du moins dans des conditions physiologiques. Cette éventualité est prévenue par l’activation concomitante de nombreux champs inhibiteurs. En effet, l’application de stimulations non nociceptives sur une grande surface corporelle active non seulement le centre des champs excitateurs, mais aussi de nombreux champs inhibiteurs dont la fonction sera d’atténuer la réponse globale (Fig. 18B). Ainsi, l’organisation spatiale de la convergence des influences excitatrices et inhibitrices joue probablement un rôle essentiel dans l’élaboration physiologique des messages issus de cette classe de neurones. On conçoit alors que des processus pathologiques soient capables de désorganiser complètement cet équilibre, notamment lorsqu’ils entraînent un déficit des contrôles inhibiteurs. Un tel déficit se traduit par le déclenchement d’une importante activité neuronale par des stimulus anodins et, in fine, des phénomènes d’allodynie (cf. supra).
Quels que soient les mécanismes précis qui régissent l’organisation des inhibitions segmentaires, ces dernières permettent d’expliquer les effets hypoalgésiques déclenchés par des méthodes physiques de stimulation - frottements, stimulation électrique, etc… - d’une surface corporelle voisine du foyer douloureux. À son insu, tout un chacun sait utiliser ces mécanismes lorsque par exemple il se frotte la peau avec énergie pour soulager la douleur déclenchée par une piqûre, un traumatisme… etc. En réalité, l’interaction des activités afférentes entre les fibres de gros et de fin diamètre est connue de longue date, mais ce sont Melzack et Wall [77] qui en ont proposé la formulation argumentée la plus claire dans leur théorie du portillon médullaire (« gate control theory of pain »). Selon cette théorie, la transmission des messages nociceptifs est réglée par un effet de balance entre les influences excitatrices et inhibitrices, et la douleur ne survient que lorsqu’il y a rupture d’équilibre en faveur des messages excitateurs (soit par « excès de nociception », soit par déficit des contrôles inhibiteurs). Ils ont proposé que des interneurones situés dans la substance gélatineuse (couches II et III) de la corne postérieure de la moelle inhibent la transmission des influx nociceptifs vers les neurones à convergence situés dans des couches plus profondes (« trigger cells »). Le mécanisme proposé est celui d’une action inhibitrice présynaptique, c’est-à-dire sur les afférences qui alimentent les neurones à convergence. À la manière d’un portillon, les cellules de la substance gélatineuse réguleraient l’accès au système nerveux central du flot global d’informations. La mise en jeu des afférences de gros diamètre augmenterait l’activité de ces interneurones, fermant ainsi le portillon, tandis que l’activation des fibres fines déprimerait ce tonus inhibiteur, déclenchant alors l’ouverture du portillon, facilitant ainsi par désinhibition l’envahissement des neurones à convergence, puis les structures supraspinales d’intégration, par les messages issus de la périphérie.
Pour décrire complètement cette théorie, il faut ajouter que l’ensemble de ces mécanismes était supposé soumis à des contrôles d’origine supraspinale, ces derniers étant déclenchés par l’activation des fibres de gros diamètre.
Plusieurs points de cette théorie n’ont pas été confirmés sur le plan expérimental, ce qui a conduit Wall à modifier le schéma initial. En dépit de nombreuses controverses que nous ne détaillerons pas ici, il faut bien reconnaître que la théorie du portillon a suscité de nombreux essais thérapeutiques de neurostimulation à visée antalgique car elle apportait une base scientifique montrant la possibilité d’activer sélectivement des voies inhibitrices de façon non invasive. Cette théorie proposait une hypothèse rationnelle permettant d’expliquer les effets hypoalgésiques décrits chez l’homme lors de stimulations électriques à haute fréquence et faible intensité de nerfs périphériques (« transcutaneous electrical nerve stimulation », TENS).
Cependant, de nombreuses observations cliniques ne peuvent être expliquées par cette seule hypothèse. Par exemple, les effets analgésiques de la TENS ne s’installent qu’avec une latence de plusieurs minutes, mais peuvent durer bien au-delà de la période de stimulation. En revanche, les effets inhibiteurs observés expérimentalement sont immédiats et ne persistent pas au-delà de la période de stimulation. Par ailleurs chez le singe, la TENS n’est capable d’inhiber les réponses nociceptives de neurones spinothalamiques que lorsque l’intensité dépasse le seuil d’activation des fibres Ad. En outre, des effets analgésiques extrasegmentaires peuvent aussi être déclenchés chez l’homme par la TENS, mais ils sont moins marqués que ceux que l’on déclenche au niveau segmentaire, ces derniers étant plus importants lorsque la stimulation est appliquée sur le territoire douloureux. On peut cependant obtenir des effets analgésiques extrasegmentaires plus intenses lorsque l’on applique ce que l’on désigne parfois sous le terme de « TENS non conventionnelle » (acupuncture-like TENS), caractérisée par une stimulation de basse fréquence et de forte intensité provoquant une contraction musculaire et mettant également en jeu des mécanismes supraspinaux (cf. infra). Ces données suggèrent que différents mécanismes de contrôle sont impliqués dans les effets hypoalgésiques de la TENS. Notons enfin, et cela est sans doute essentiel, que l’indication clinique la plus fréquente de la TENS conventionnelle est la douleur neuropathique.
Il est probable que ces contrôles s’exercent par l’intermédiaire d’acides aminés inhibiteurs comme la glycine ou le GABA, notamment parce que l’administration intrathécale de leurs antagonistes (strychnine, bicuculline) à doses subconvulsivantes provoque des phénomènes d’allodynie. La bicuculline agit sur les récepteurs GABAA mais l’administration intrathécale d’un agoniste correspondant (muscimol) ne modifie pas le seuil nociceptif - ce n’est pas le cas des agonistes GABAB (baclofène) dont les effets, quoique modestes, suggèrent un mécanisme d’action sur la transmission nociceptive proprement dite -.
Par ailleurs, les couches superficielles de la corne postérieure sont particulièrement riches en récepteurs opioïdes dont bon nombre sont situés sur les terminaisons des fibres afférentes primaires. Certains interneurones de ces mêmes couches contiennent des ligands endogènes des récepteurs opioïdes, notamment ceux qui sont dérivés de la proenképhaline A et de la prodynorphine (enképhalines, dynorphine). Si leur signification fonctionnelle reste encore obscure, leur efficacité potentielle est démontrée sans ambiguïté puisque l’injection intrathécale de faibles doses de morphine ou d’opioïdes endogènes déclenche chez l’animal une puissante analgésie.
Les études effectuées chez l’homme ont entièrement confirmé les résultats issus de l’expérimentation animale : un des mécanismes essentiels responsables de l’action analgésique de la morphine consiste en une dépression directe de la transmission des messages nociceptifs dès l’étage médullaire. On connaît le succès de l’utilisation des voies d’administration péridurale ou intrathécale de morphine. Elles ont l’avantage d’assurer un soulagement total et de longue durée de la douleur en ne provoquant que des effets secondaires mineurs.
Cependant ces techniques ne sont applicables qu’à des douleurs affectant les dermatomes et viscérotomes thoracolombaires, c’est-àdire les parties basses du corps.
CONTRÔLES D’ORIGINE SUPRASPINALE
Ces contrôles sont principalement exercés depuis le tronc cérébral.
Les contrôles d’origine thalamique, hypothalamique et corticale sont moins bien connus. La stimulation localisée de la substance grise périaqueducale et de la région bulbaire ventromédiane (la région bulbaire ventromédiane comprend le noyau raphé magnus, le noyau paragigantocellulaire et le noyau gigantocellulaire) est capable d’induire une profonde analgésie sans affecter, semble-t-il, les autres fonctions sensorielles. Cette analgésie pourrait résulter de l’activation de voies inhibitrices descendantes qui bloquent la transmission spinale des messages nociceptifs, en libérant la sérotonine et les opioïdes endogènes dans les couches superficielles de la corne postérieure (Fig. 19). Ce schéma très général doit être complété ; on sait en effet que la stimulation de nombreuses autres régions du tronc cérébral est capable d’inhiber la transmission spinale des messages nociceptifs (quelques exemples : noyau réticulaire latéral, noyau du tractus solitaire, groupe catécholaminergique A5, locus coeruleus, aire parabrachiale, aire prétectale, hypothalamus latéral, noyau rouge, substance noire, …).
Figure 19:
À cet égard, mentionnons plus particulièrement les voies agissant au niveau spinal par l’intermédiaire de récepteurs adrénergiques alpha-2.
CONTRÔLES INHIBITEURS DIFFUS NOCICEPTIFS (CIDN)
Nous savons maintenant que la transmission des messages nociceptifs est modulée par de puissants contrôles dès les premiers relais médullaires, à la fois par des mécanismes segmentaires et par des systèmes qui mettent en jeu des structures supraspinales. Si les mécanismes segmentaires peuvent bien être déclenchés par stimulation du métamère correspondant, certains contrôles inhibiteurs descendants sont également déclenchés par la stimulation d’autres parties du corps. En effet, les neurones à convergence de la corne postérieure sont très fortement inhibés lorsque l’on applique une stimulation nociceptive sur une quelconque partie du corps, différente de leur champ périphérique excitateur : cette stimulation a déclenché les CIDN.
Les CIDN sont sous-tendus par une boucle complexe faisant intervenir des structures supraspinales. À l’inverse des inhibitions segmentaires, ils ne sont pas observés chez l’animal dont la moelle a été préalablement sectionnée, au niveau cervical par exemple. Les parties les plus caudales du tronc cérébral sont impliquées dans ce phénomène (Fig. 20A).
Chez l’homme, des résultats tout à fait analogues ont été observés à l’aide de techniques associant des mesures psychophysiques de la douleur et des enregistrements de réflexes nociceptifs. La stimulation électrique à la cheville du nerf sural évoque simultanément un réflexe nociceptif dans un muscle fléchisseur de la cuisse et une sensation douloureuse dans le territoire du nerf.
Seules des stimulations conditionnantes hétérotopiques de nature douloureuse, qu’elles soient thermiques, mécaniques ou chimiques sont capables d’élever à la fois le seuil de ce réflexe et celui de la douleur associée, les élévations les plus importantes étant observées pour les stimulations conditionnantes les plus intenses. Ces résultats montrent donc que chez l’homme, un stimulus conditionnant douloureux est capable, dès les premiers relais médullaires de la transmission nociceptive, de déprimer une douleur préexistante et le réflexe nociceptif qui l’accompagne. L’étude de ces phénomènes chez des patients atteints de lésions du système nerveux central a permis d’établir qu’ils impliquent une boucle spino-bulbo-spinale dont la partie ascendante est constituée par le faisceau spinoréticulaire. De plus, chez l’homme comme chez l’animal, il existe au moins un relais opioïdergique dans cette boucle.
LA DOULEUR EST-ELLE DÉCLENCHÉE PAR UN GRADIENT D’ACTIVITÉ ENTRE DEUX POPULATIONS DE NEURONES SPINAUX ?
Un stimulus nociceptif, bien qu’indiscutablement perçu comme douloureux, active certains contrôles inhibiteurs descendants issus du tronc cérébral qui pourraient contribuer à la détection des messages nociceptifs par le cerveau. Nous avons vu que les neurones à convergence de la corne postérieure de la moelle répondent, et parfois de façon importante, à des stimulus non nociceptifs (pression, frottements, mouvements des poils…). Ces neurones sont donc activés de façon aléatoire mais permanente par l’ensemble des stimulus non nociceptifs apportés par l’environnement (Fig. 20B) (a). Cette activité globale, transmise aux centres supérieurs, pourrait constituer un « bruit de fond », dont les centres cérébraux ne pourraient extraire un message significativement nociceptif qu’avec difficulté (Fig. 20B) (b). La signification fonctionnelle de cette activité somesthésique de base est inconnue, mais on peut supposer qu’elle joue un rôle important dans l’élaboration du schéma corporel. Il ne s’agirait alors d’un « bruit de fond » que vis-à-vis de la douleur. Les CIDN pourraient constituer le filtre grâce auquel un signal spécifiquement nociceptif en serait extrait. En effet, lorsqu’un foyer nociceptif apparaît dans une région corporelle, les neurones à convergence et spécifiquement nociceptifs segmentaires sont activés et envoient un message excitateur vers les centres supérieurs. Ce signal active secondairement les CIDN qui vont inhiber l’ensemble des neurones à convergence spinaux et trigéminaux qui n’étaient pas directement concernés par le stimulus initial. Ce mécanisme améliore le rapport signal/bruit en augmentant le contraste entre les activités du foyer segmentaire de neurones activés et le silence de la population résiduelle (Fig. 20B) (c).
Tout se passe comme au sein d’une assemblée, quelle qu’elle soit : un intervenant ne se fera entendre qu’après avoir obtenu le silence ; les CIDN permettent un tel silence parmi les neurones spinaux.
Inversement, le brouhaha, le chahut permettront non pas d’interdire l’intervention, mais de brouiller complètement son message. C’est ce que fait la morphine : les CIDN sont extrêmement sensibles à de faibles doses de morphine.
Si l’on admet l’importance du rôle des neurones à convergence dans la nociception, une seconde implication directe du modèle est l’existence de phénomènes interactifs entre des messages nociceptifs issus de territoires corporels éloignés et partant, d’interactions entre douleurs d’origine topographique distincte. En réalité, un stimulus douloureux est bien capable de diminuer, voire de masquer la douleur issue d’un foyer situé sur une partie éloignée du corps. Cet effet, connu depuis l’Antiquité comme en témoigne l’aphorisme d’Hippocrate selon lequel « De deux souffrances survenant en même temps, mais sur des points différents, la plus forte fait taire la plus faible », a même été utilisé lors d’interventions chirurgicales tant chez l’homme que chez les animaux domestiques. Chez ces derniers, l’emploi du tord-nez chez le cheval ou des pinces nasales chez les bovins pour réaliser des interventions aussi douloureuses que la caudectomie ou la castration en sont deux exemples. Bon nombre de pratiques des médecines populaires pour soulager la douleur sont en fait fondées sur ce principe. Ces observations empiriques ont d’ailleurs été confirmées dans des conditions d’objectivité scientifique et ce phénomène a souvent été désigné par les termes anglo-saxons de « contreirritation » ou de « contre-stimulation ». Les CIDN représentent probablement le substrat neurologique de telles observations.
La question des mécanismes déclenchés par l’acupuncture mérite également d’être posée. Si l’on met de côté des techniques qui, bien que désignées sous le terme d’électroacupuncture, s’apparentent en fait aux stimulations transcutanées de nerfs à haute fréquence et faible intensité mettant en jeu des mécanismes d’inhibition segmentaire (cf. supra), il semble assez vraisemblable que certaines hypoalgésies déclenchées par acupuncture s’apparentent aux phénomènes de « contre-stimulation ». [71, 74] Le physiologiste serait tenté de dire que tout l’art de l’acupuncteur consiste à « jouer » avec les différentes modalités de contrôle du message nociceptif pour augmenter le bruit de fond et les mécanismes d’inhibition sans pour autant que le traitement soit trop désagréable pour le patient.
AUTRES CONTRÔLES
Les contrôles de l’information douloureuse ne sont pas confinés à la moelle, quoique ces derniers soient les mieux connus et les plus documentés. On peut ainsi distinguer des projections bien délimitées des cortex frontal, pariétal et insulaire sur le subnucleus reticularis dorsalis, une structure située à la jonction entre la moelle et le cerveau, impliquée à la fois dans les boucles de rétroaction spinobulbo- spinales et dans le système spino-réticulo-thalamique, nous l’avons vu. [102] Elles ouvrent la possibilité d’une modulation des messages nociceptifs provenant de l’ensemble du corps par des régions délimitées du cortex.