medicalised transport,medical assistance, plastic surgery
Surveillance et évaluation de la sédation en réanimation
En raison des nombreux effets secondaires qu’ils sont susceptibles de générer, l’emploi de médicaments anesthésiques en réanimation impose une surveillance attentive. Cela permet d’obtenir un niveau optimal de sédation, d’apprécier son retentissement sur la (ou les) pathologie (s) coexistante (s), d’adapter les doses à l’évolution des fonctions rénale et hépatique et de décider précisément du moment où l’on arrête cette sédation. Le respect de ces règles permet d’éviter ou de limiter les effets délétères.
Éléments de surveillance
La bonne conduite de la sédation en réanimation repose sur plusieurs paramètres, cliniques et électroencéphalographiques, et sur la prédiction des concentrations.
Surveillance clinique
La surveillance est fondamentale et doit dépasser la simple appréciation subjective de l’état de conscience du patient.
L’efficacité de la mise en place de protocoles écrits de sédation et de surveillance, notamment à l’aide de scores n’est plus à démontrer. [51]
Plusieurs scores ont été développés dans le but d’évaluer anxiété, douleur et adaptation au respirateur. Tous doivent avoir en commun une bonne reproductibilité et être valides quand ils sont comparés les uns aux autres.Le plus ancien est l’échelle de Ramsay (Tableau 3) qui a l’avantage d’être simple mais est malheureusement peu précis et trop subjectif. [52] D’autres scores, plus récents, tentent de prendre en compte des éléments plus fins, notamment comportementaux.[53-57]
La sedationagitation scale (SAS) décrite par Riker (Tableau 4) a l’avantage de prendre en compte la sévérité de l’agitation des patients. [57] La motor activity assessment scale (MAAS) est adaptée de la précédente et propose 7 catégories en fonction de la réponse comportementale du patient à la stimulation. [58]
La Vancouver interaction and calmness scale (VICS) aégalement
été validée pour l’évaluation de la sédation des patients adultes en réanimation, le plus souvent non intubés, et est intégrée aux recommandations nord-américaines.
[35] Les patients sont évalués sur leur niveau d’activité ou de repos mais ce test ne prend pas en compte leurs capacités de communication ou d’interaction.
Deux instruments récents semblent particulièrement intéressants car ils ont la capacité de refléter les changements de profondeur de sédation chez un patient d’un jour à l’autre : l’échelle de Richmond qui est corrélée avec le score de Glasgow, le score de Ramsay, la dose de sédatif et le BIS (index bispectral) et l’échelle ATICE reflétant la conscience et la tolérance. [59, 60]
Chez l’enfant, l’échelle COMFORT qui comporte 8 items a été validée mais ne concerne pas les patients adultes. [61]
Cependant, ces scores prennent insuffisamment en compte la douleur et les facilités de soins. L’évaluation de la douleur est en effet difficile en réanimation. La behavorial pain scale (BPS) ne prend pas en compte la conscience mais permet d’apprécier la douleur, l’agitation et l’adaptation au respirateur. [62] Enfin, l’échelle visuelle analogique a été validée mais nécessite la coopération du patient. L’équipe soignante doit ainsi être à l’affût de toute manifestation végétative (tachycardie, hypertension, modifications ventilatoires, etc.) lors des soins, traduisant une analgésie insuffisante.
Surveillance électrophysiologique et index bispectral de l’EEG
D’autres techniques plus sophistiquées ont été étudiées mais elles ne rentrent pas dans la pratique courante et ne sauraient être utilisées seules pour monitorer la sédation. Le BIS est dérivé de l’analyse spectrale de l’électroencéphalogramme (EEG). Le signal recueilli est décomposé en son spectre de fréquences par les séries de Fourier. Le BIS est une échelle numérique de 0 à 100 et a ainsi été utilisé pour quantifier la profondeur de l’hypnose en anesthésie puis de la sédation en réanimation. [63]
Les travaux ayant étudié la corrélation entre le BIS et les échelles de sédation ont montré des résultats contradictoires, et dans tous les cas, les corrélations étaient faibles. [64-66] Plusieurs inconvénients limitent son utilisation : grande dispersion des valeurs pour un même score sur une échelle conventionnelle, interférences avec l’activité musculaire malgré les filtres, absence de corrélation avec le score de Glasgow en cas de troubles de conscience, etc. [67-69] Pour Riess, l’utilisation du BIS en réanimation ne semble donc se concevoir que sous certaines conditions et notamment une stabilité de la température corporelle et une faible activité neuromusculaire. [70]
Schneider a récemment démontré l’intérêt d’un score baptisé patient state index (PSI) basé sur le monitorage électroencéphalographique chez des patients de réanimation chirurgicale sédatés par propofol et sufentanil. [71] Les résultats prometteurs de cette technique méritent maintenant d’être confirmés par d’autres études s’intéressant à d’autres combinaisons thérapeutiques.
D’autres techniques comme les potentiels évoqués sensoriels et en particulier auditifs (PEA) ou la contractilité de l’oesophage terminal ne sont utilisées actuellement que dans des protocoles de recherche. Leur intérêt clinique en réanimation reste à évaluer. Les PEA mesurent la réponse des centres nerveux souscorticaux et corticaux à une stimulation auditive. Cette technique, essentiellement utilisée en anesthésie, n’a pas prouvé sa supériorité au BIS dans la prédiction de la perte de conscience sous propofol par exemple. [72]
Dosages et prédictions de concentration
Les dosages plasmatiques de propofol ou de midazolam sont techniquement possibles bien que non routiniers. Cela s’explique par leur coût élevé mais surtout par leur faible intérêt pour le clinicien (hors surdosages massifs pouvant expliquer un retard de réveil par exemple).
Par ailleurs, Oldenhof a montré la mauvaise corrélation entre concentration de midazolam et niveau de conscience. [73] Ainsi, la large dispersion des concentrations de midazolam pour des niveaux de sédation comparables rend ces dosages « bruts » inutilisables pour monitorer la sédation.
Les techniques basées sur la relation concentration de propofol ou de midazolam /niveau de conscience et utilisées
au bloc opératoire en routine sont beaucoup plus informatives pour le clinicien mais ne peuvent être extrapolées telles quelles en réanimation. Les durées d’administration sont en effet plus longues et les variabilités interindividuelles considérablement accrues chez des patients aux défaillances multiples et aux thérapeutiques intriquées. Les modèles pharmacocinétique et pharmacodynamique du propofol sont pourtant bien connus et permettent d’établir chez des patients sans défaillance multiorganique une prédiction concentration/effet sédatif. [74] Les logiciels de simulation pharmacocinétique intégrés aux dispositifs de perfusion continue type Diprifusor® ou Primea® peuvent être utilisés pour une meilleure maniabilité en réanimation et réaliser une sédation intraveineuse à objectif de concentration (SIVOC). L’objectif est l’obtention d’une concentration (et donc d’un effet), à charge à un programme de calcul validé de pourvoir au débit nécessaire pour l’obtenir. Ces modèles tiennent notamment compte de l’élimination de l’agent sédatif par le temps de demi-décroissance (contextsensitive half-time - CSHT - ou demi-vie contextuelle) qui est le temps que met la concentration à diminuer de moitié au site effet (plasma ou cerveau) lors de la perfusion. Ce paramètre tient compte de tous les volumes et clairances et non de la seule demi-vie d’élimination et varie avec la durée de perfusion.
Monitorage de la curarisation
Ce monitorage est important et son usage devrait se généraliser en cas d’utilisation de curares non dépolarisants.
En effet, l’objectif est le relâchement des muscles respiratoires afin de tenter d’augmenter la composante thoracique de la compliance thoracopulmonaire ; or le diaphragme est le muscle le plus résistant aux curares. L’administration arbitraire de doses moyennes ne permet pas d’atteindre l’objectif. L’absence de réponse du muscle orbiculaire de l’oeil à la stimulation d’une branche du nerf facial est plus significative d’un relâchement diaphragmatique que le monitorage de la réponse musculaire de l’adducteur du pouce. [75, 76] Lagneau et al. ont montré qu’une curarisation avec pour objectif 2 réponses visuelles sur 4 après train de quatre à l’orbiculaire était équivalente en termes de paramètres pulmonaires (pressions de plateau, PaO2/FiO2) à une curarisation plus profonde, permettant ainsi une réduction des doses de curares et une récupération plus rapide. [31] La technique est aisée, facilement renouvelable, l’apprentissage est facile et le coût est faible. On doit veiller à valider la mesure en écartant les fausses réponses positives liées à une stimulation musculaire directe.
Adaptation aux fonctions rénales et hépatiques
Les patients nécessitant une sédation présentent fréquemment des atteintes voire des défaillances des fonctions rénale et hépatique. Ces éléments sont à prendre en compte lors du choix et des doses des sédatifs car ces situations exposent au risque de surdosage par accumulation des produits eux-mêmes et/ou de leurs métabolites actifs et augmentation de la fraction libre, non liée aux protéines.
En cas d’insuffisance rénale
• La morphine et son métabolite actif, la 6-morphineglucuronide, exposent au risque de sédation prolongée. Le fentanyl, l’alfentanil et le sufentanil peuvent être administrés.
Le rémifentanil peut également être utilisé en cas d’insuffisance rénale puisque son principal métabolite, le GI-90291, bien que d’élimination rénale, ne semble pas associé à une prolongation de ses effets opioïdes. [77]
• La demi-vie du midazolam est augmentée. Pour le diazépam et le flunitrazépam, moins utilisés depuis quelques années, l’accumulation du propylène glycol expose au risque d’hémolyse, de toxicité auditive, d’hyperosmolarité plasmatique. De plus, ce solvant, en concentration excessive, neutralise l’héparine et est particulièrement irritant pour l’endothélium veineux.
• La sédation au propofol peut nécessiter des volumes proches de 500 ml exposant au risque de surcharge volémique chez le patient oligoanurique.
• Parmi les curares, le pancuronium a une élimination rénale qui est fonction de la clairance de la créatinine ; le vécuronium expose également au risque de curarisation prolongée par accumulation d’un métabolite actif. Ces curares sont peu dialysables. La demi-vie de l’atracurium et du cisatracurium n’est pas modifiée par l’insuffisance rénale.
En cas d’insuffisance hépatique
La demi-vie des morphinomimétiques,
des benzodiazépines et des curares est globalement augmentée.Elle est cependant plus modérée pour le fentanyl et les morphiniques aux coefficients d’extraction élevés. Elle n’est pas modifiée pour l’atracurium et le cisatracurium.
Arrêt de la sédation
Arrêt progressif souhaitable, sans administration d’antagonistes
Le retour à un état de conscience normal et la restitution de la réponse ventilatoire à l’hypoxie et à l’hypercapnie sont d’une grande variabilité car ils dépendent, entre autres, de la demi-vie des molécules employées, de leur volume de distribution et des modifications des clairances hépatique et rénale. Après une sédation prolongée, il est donc difficile de prévoir le temps de latence avant la récupération des fonctions vitales. On peut cependant prévoir des délais importants avec le diazépam (demi-vie : 25 à 50 h), le flunitrazépam (demi-vie : 15 à 20 h) mais aussi avec le midazolam malgré sa demi-vie plus courte (1,3 à 3,7 h mais pouvant aller jusqu’à 8 à 53 h). Ces modifications sont encore plus marquées chez les sujets âgés, les obèses ou en cas d’administration concomitante de cimétidine, propranolol, disulfiram, isoniazide ou antiprotéases. Il en est de même pour le fentanyl, classiquement à courte durée d’action, mais dont la demi-vie d’élimination rejoint celle de la morphine chez les patients de réanimation. Des curarisations prolongées ont été également décrites.
Les conséquences sont importantes car cette sédation entrave les tentatives de sevrage de la ventilation artificielle. [78] Dans tous les cas et au même titre que des protocoles écrits de sédation et de surveillance ont été développés, des protocoles de sevrage faisant intervenir l’ensemble de l’équipe (personnel infirmier et/ou kinésithérapeutes) doivent être mis en place. [79, 80] La recherche systématique et quotidienne de critères simples, autorisant la réalisation de l’épreuve de ventilation spontanée évite la prolongation inutile de la ventilation mécanique (VM).
Cette attitude réduit l’incidence des conséquences inhérentes à l’utilisation prolongée de la VM : autoextubations, trachéotomies, durée moyenne de séjour en réanimation, etc.
Syndrome de sevrage
L’arrêt de la sédation peut s’accompagner de manifestations cliniques d’intolérance ou syndrome de sevrage. Les benzodiazépines et les morphiniques sont les agents les plus souvent en cause. La fréquence de survenue des syndromes de sevrage est difficile à apprécier et est probablement sous-estimée en raison des difficultés diagnostiques en réanimation.
Le tableau clinique associe des signes digestifs (nausées, vomissements, diarrhées), des signes cardiovasculaires (tachycardie, hypertension artérielle),
des signes neuropsychiques (anxiété, irritabilité, insomnie, syndrome confusionnel), une hyperthermie et parfois des crises convulsives. Le délai d’apparition est variable, allant de 24 h à plusieurs semaines. Le sevrage brutal, l’utilisation de benzodiazépines à demi-vie courte, l’administration de fortes doses et la réversion par le flumazénil ou la naloxone sont des facteurs favorisants. Le traitement repose sur la réintroduction de faibles doses de benzodiazépines et/ou de morphinomimétique, parfois associées à de la clonidine. La dexmedetomidine, avec ses propriétés alpha-2 adrénergiques, pourrait également être utile dans ces circonstances.
Administration d’antagonistes des benzodiazépines, des morphinomimétiques ou des curares
Cette administration ne peut se concevoir que dans le cadre de l’évaluation du degré de conscience d’un traumatisme crânien ou sous forme de test diagnostique, pour juger indirectement de
la concentration sérique de benzodiazépines ou de morphinomimétiques circulants, ou encore d’une curarisation résiduelle.
L’administration répétée de ces antagonistes est difficilement envisageable sans courir un risque majeur d’effets secondaires.
• Le flumazénil antagonise les benzodiazépines, complètement mais transitoirement. Son administration se fait d’une manière croissante jusqu’à obtention de l’effet souhaité(0,2 mg en 15 secondes toutes les minutes ; dose maximale 2 mg). L’antagonisation peut entraîner une baisse brutale de la pression de perfusion cérébrale chez le traumatisé crânien si la pression de base est élevée ; son indication doit être discutée si la pression télédiastolique du ventricule gauche est élevée.
L’angoisse peut réapparaître brutalement et générer un état d’agitation aiguë.
• La naloxone antagonise les morphinomimétiques mais son administration peut favoriser l’apparition d’une tachycardie et d’une poussée tensionnelle. Elle est contre-indiquée en cas de cardiopathie ischémique ou hypertensive.
• La prostigmine (0,03 à 0,06 mg kg–1) antagonise les curares non dépolarisants ; elle est toujours associée à l’atropine (10 à 20 mg kg–1) pour prévenir les effets parasympathomimétiques.
Elle est contre-indiquée en cas de cardiopathie ischémique ou hypertensive, d’asthme, de pathologies neuromusculaires et de traitement par les antiarythmiques.